La vulgarisation de l’intelligence artificielle par l’accessibilité au public de ChatGPT et des générateurs d’image tels que Dall-E 2 ou Nightcafe occasionne beaucoup d’interrogation sur la place des droits d’auteur pour des œuvres numériques.

En réalité, le sujet n’est pas si récent, l’art numérique s’est développé avec l’informatique dès les années 60 où un informaticien, Harold Cohen, s’était amusé a développé le programme AARON pour peindre en utilisant des pinceaux et des colorants spéciaux choisis par le programme.   

Figure 1 Dessins créés automatiquement avec Lexica

Les principes du droit d’auteur

Le principe de la protection du droit d’auteur est posé par l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) qui dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » L’article L. 113-1 complète en instaurant une présomption légale à l’encontre de la personne sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée.

Il en résulte que seul un être humain peut être auteur, disposant d’un « esprit », et la doctrine précise que l’œuvre doit être « originale » : une œuvre est considérée comme originale lorsqu’elle reflète l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Autrement dit, quand elle révèle un aspect personnel et intellectuel. L’article L112-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que le droit d’auteur protège « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, pourvu qu’elles soient des créations originales ».

Quid des créations automatiques ?

Ces principes étant rappelés, on peut s’intéresser au contexte particulier d’une œuvre créée automatiquement par exemple pour une intelligence artificielle.

À qui appartient une création automatique ?

L’article L. 113-1 est très clair : elle appartient à celui sous le nom de qui la création est divulguée. Chacun peut donc se prétendre auteur d’une création, et se prévaloir des droits d’auteur. Toutefois, encore faut-il que cette création soit considérée comme une « œuvre de l’esprit ». Et pour cela, le prétendu auteur devra convaincre que la création porte « l’empreinte de sa personnalité », et qu’il a eu une contribution et une intention créative et pas simplement une action dénuée de contrôle créatif ultime sur le résultat obtenu.

La question s’était posée pour la photographie. Aux États-Unis, dans une affaire Burrow-Giles Lithographic Co. v.  Sarony, un défendeur accusé d’avoir fait des copies non autorisées d’une photographie, a fait valoir que l’extension de la protection du droit d’auteur aux photographies par le Congrès était inconstitutionnelle parce qu’une photographie n’est pas la production d’un auteur, mais est créée par un appareil photo. La Cour a écarté cet argument « dans la mesure où les images photographiques sont représentatives des conceptions intellectuelles originales de l’auteur, à savoir la personne humaine à qui une chose doit son origine. Mais avec la même logique, les tribunaux ont écarté le droit d’auteur pour des photographies prises automatiquement ou, récemment, pour un “selfie” inopiné pris par un singe.

Le même raisonnement s’applique pour une création résultant de l’utilisation de l’intelligence artificielle : une personne peut avoir fait des choix personnels et conscients, avec une intention et une maîtrise sur le résultat, et dans ce cas bénéficier de la qualification d’œuvre de l’esprit.

Les tribunaux français appliquent très classiquement ces principes :

  • “l’emploi d’une machine n’est pas de nature à faire perdre à l’œuvre considérée son caractère d’originalité et de nouveauté” (Cour d’appel de Douai, 4 décembre 1964)
  • “une œuvre de l’esprit créée à partir d’un système informatique sera protégeable si apparaît même de façon minime l’originalité qu’a voulu apporter son concepteur” “Cour d’appel de Paris, 3 mai 2006)
  •  “la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine,…, conduit à la création d’œuvres originales et comme telles protégeables, quelle que soit l’appréciation qui peut être portée sur leur qualité” (TGI de Paris 5 juillet 2000)

En synthèse, l’utilisation de l’intelligence artificielle n’écarte pas a priori la protection d’une création par le droit d’auteur, à condition qu’un auteur humain ait pris une part consciente dans le processus de création, reflétant sa personnalité. L’exemple de la création illustrant cet article ne rentre pas dans cette catégorie, puisque l’auteur s’est contenté de saisir une description de l’image à créer sans aucune maîtrise sur le résultat final, qui ne reflète en rien sa “personnalité”. Mais le fait qu’une création automatique soit spectaculaire n’entraîne pas de facto qu’elle soit protégée par le droit d’auteur.

Quid d’une création obtenue par un traitement par IA de créations antérieures ?

On retrouve une situation fréquente dans le domaine de la création, connu sous le terme d’œuvre dérivée ou d’œuvre composite, ou un auteur “second” crée une œuvre en utilisant une ou plusieurs “œuvres premières”. Il s’agit de création où on utilise une série de tableaux, de sculpture ou d’œuvres musicales pour entraîner un réseau de neurones, et produire de nouvelles œuvres. C’est par exemple le cas du projet “projet The Next Rembrandt” d’un superbe portrait d’un homme au chapeau noir produite grâce à une intelligence artificielle et évoquant de manière troublante une œuvre de Rembrandt. Ou le Portrait d’Edmond de Belamy crée, avec une IA alimentée d’un corpus de portraits produits depuis le Moyen Âge : En octobre 2018, la pièce est vendue aux enchères par la maison Christie’s à New York pour la somme de 432 000 dollars, représentant non pas la valeur des droits d’auteur, mais la capacité à Christie’s de faire un évènement médiatique provoquant un engouement parmi les enquêteurs.

Là encore, le raisonnement est clair, il faut raisonner méthodiquement en distinguant bien les deux questions :

  1. L’œuvre “seconde” constitue-t-elle en soi une “œuvre de l’esprit” ?

Cela suppose que l’œuvre seconde porte “l’empreinte de la personnalité de l’auteur”, directement par les choix esthétiques délibérés de l’auteur, ou indirectement, par le paramétrage d’un outil automatique avec un choix conscient, pour produire une œuvre répondant à une intention esthétique empreinte de la personnalité de l’auteur. Par exemple, est-ce qu’une autre personne ayant la même intention générale aurait abouti à un résultat significativement différent, avec des différences résultant non pas du hasard, mais de la personnalité de chacun des auteurs.

  • Un auteur d’une œuvre première incorporée peut-il opposer des droits envers l’éditeur de l’œuvre seconde ?

Cela suppose que l’on puisse reconnaître l’œuvre première dans l’œuvre seconde ?

Si oui, l’œuvre première était-elle déjà dans le domaine public ? Si oui, seuls subsistent les droits moraux, qui peuvent conférer aux ayants droit des pouvoirs d’interdire l’exploitation.

Bien sûr, si l’objet de départ n’est pas protégé par le droit d’auteur, aucun contrat ne peut en restreindre les droits d’exploitation. En particulier un contrat de licence de type CC ou “libre seulement pour un usage privé, serait sans objet.

En conclusion, l’intelligence artificielle offre des perspectives nouvelles, mais reste un outil, qui ne modifie pas les principes du droit d’auteur, même s’il donne lieu à des contextes inédits, intellectuellement stimulant, mais dont la solution nécessite juste une application rigoureuse du droit positif avec l’éclairage de la doctrine et de la jurisprudence.

Pierre BREESE